Attac s’adresse à vous avec son Manifeste 2007

Construire un monde solidaire et écologique EDITORIAL Pourquoi Attac s’adresse à vous Avec son Manifeste 2007, Attac se tourne vers les citoyennes et les citoyens. Ceux-ci vont être appelés à faire leurs choix lors des échéances électorales du printemps prochain. En proposant, pour le court et moyen terme, des mesures alternatives au néolibéralisme pour la France, pour l’Europe et pour l’ensemble du monde, ce Manifeste vise à stimuler le débat public, tant à l’occasion qu’au-delà des élections, et à le recentrer sur l’essentiel. Tout donne en effet à penser que telle ne sera pas nécessairement la caractéristique première des programmes des candidats. C’est seulement s’ils bousculent le ronron de campagnes calibrées au millimètre par des agences de communication que les citoyennes et les citoyens pourront déplacer le curseur politique vers les réponses aux véritables enjeux, hors des postures médiatiques et de la langue de bois.

Notre association ne présentera ni ne soutiendra quelque candidat ou candidate que ce soit: elle n’est pas un parti politique, mais un mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action, et totalement impliqué dans la vie de la Cité. C’est de ce point de vue que nous nous adressons aux citoyennes et citoyens.

Dès sa fondation en 1998, Attac a identifié les politiques néolibérales menées partout dans le monde, et particulièrement en Europe et en France (quels que soient les gouvernements), comme la cause principale de la montée des inégalités, de la dislocation des sociétés par le chômage et la précarité, de l’insécurité sociale, de la prolifération des conflits militaires et de la violence aveugle, ainsi que de l’accélération du saccage de l’environnement.

Une rupture avec ces politiques ne se réduit donc pas à des considérations électorales, françaises ou autres. C’est un impératif de civilisation si nous voulons transmettre aux générations futures une planète encore habitable et vivant en paix.

Déjà, en 2005, par son travail d’analyse et d’explication, et par sa mobilisation sur le terrain, Attac avait joué un rôle déterminant dans la victoire historique du «non» au manifeste néolibéral qu’était le traité constitutionnel européen. Même si certains tentent de l’effacer de la mémoire nationale, le potentiel d’espoir de ce «non» est toujours présent. Nous en sommes collectivement et individuellement dépositaires. A nous de lui donner une nouvelle traduction en 2007 et dans les années qui suivront.

INTRODUCTION Scier les sept piliers du néolibéralisme Depuis le début des années 1980, nous sommes entrés dans une nouvelle ère: celle du néolibéralisme, c’est-à-dire du projet de destruction systématique de toutes les limites, politiques, sociales, écologiques à l’activité du capital. Ses méthodes sont bien connues: marchandisation généralisée, liberté d’action des patronats et des investisseurs, extension à l’ensemble de la planète du terrain de chasse des entreprises transnationales.

Ses objectifs sont également sans équivoque: donner toujours plus de poids aux propriétaires du capital dans le rapport de forces, déjà très inégal, avec les salariés. Le néolibéralisme se nourrit, en même temps qu’il les engendre, des fortes inégalités entre catégories sociales, entre pays, et également entre hommes et femmes, les bas salaires, comme on le sait, étant majoritairement féminins. Lorsque le FMI ou la Banque mondiale imposent aux pays endettés le démantèlement des services publics - éducation, santé, garde d’enfants, cantines, etc. – ce sont les femmes qui jouent le rôle d’«amortisseur social": en plus de leur activité quotidienne, elles sont contraintes d’assumer les tâches qui ne sont plus prises en charge par la collectivité. Enfin, le néolibéralisme promeut des comportements individuels renvoyant à l’image sociale de la virilité - course au pouvoir et à l’argent, compétition et agressivité-, au détriment de valeurs comme la solidarité et la coopération.

La mise en œuvre de ce projet passe par une discipline supplémentaire imposée aux travailleurs, par la pression sur leur pouvoir d’achat, par le démantèlement des protections sociales et, corollairement, par la distribution éhontée de revenus exorbitants aux plus favorisés: hauts gestionnaires, actionnaires et créanciers. Dans le système productif, une nouvelle hiérarchie s’est instaurée entre les groupes géants et les petites et moyennes entreprises (PME) sous-traitantes et fragilisées. La cascade des donneurs d’ordre a dilué la responsabilité sociale et écologique des grandes sociétés. Certes, l’extension internationale de leur champ d’action est un processus antérieur au néolibéralisme, mais celui-ci lui a donné une violence renouvelée. Les multinationales françaises, telles Carrefour, Suez, Vivendi, Véolia, EDF ou France Télécom, comptent parmi les plus agressives. En matière agricole, l’imposition du productivisme et l’introduction d’espèces génétiquement modifiées, ruinent l’agriculture paysanne, détruisent l’environnement et portent atteinte à la biodiversité.

Ce nouvel ordre social mondial est inséparable du durcissement du rapport de forces entre les pays les plus avancés, Etats-Unis en tête, et les autres. Les Etats-Unis siphonnent les épargnes des autres pays et les investissent chez ceux d’entre eux où des profits considérables peuvent être réalisés. L’Europe aspire à partager ce statut privilégié de prédateur, mais elle y parvient avec moins d’efficacité. Des pays dits «émergents», comme la Chine et l’Inde, entrent dans la ronde de cette nouvelle économie mondiale en bradant le travail de leur main-d’œuvre et en exacerbant ainsi la concurrence avec les salariés du «premier monde». Ces derniers, soumis au chantage à l’emploi, se retrouvent le dos au mur pour préserver des avancées sociales conquises de haute lutte au cours des décennies passées. Loin de constituer une protection contre cette spirale à la baisse, les politiques de l’Union européenne contribuent à l’accélérer sous la bannière de la «concurrence libre et non faussée», tant en son sein que dans le reste du monde.

Par ailleurs, la dette contractée par beaucoup d’Etats de ce qu’on appelait autrefois le «tiers-monde» - quand ceux du «socialisme réel» en formaient un deuxième - est devenue un fardeau insupportable du fait de la hausse formidable des taux d’intérêt imposée par les Etats-Unis à partir de 1979. Cet endettement est utilisé comme un levier pour les faire passer sous les Fourches Caudines de l’ordre néolibéral.

Aussi, pour construire un monde démocratique, solidaire et écologique, ce sont sept piliers fondamentaux non pas de la sagesse, mais du néolibéralisme, qu’il faut préalablement scier.

Premier pilier: le libre-échange et la libre circulation des capitaux Le libre-échange, c’est l’ouverture de toutes les frontières commerciales par la disparition graduelle des droits de douane, des obstacles non tarifaires et des limitations quantitatives aux échanges de biens et de services, indépendamment de toute considération sociale, écologique et de droits humains. Ainsi, l’intégrisme libre-échangiste détruit – c’est son objectif même pas camouflé - la capacité des Etats à définir des politiques économiques autonomes répondant aux aspirations de leurs citoyens. D’innombrables traités bilatéraux, à l’initiative des Etats-Unis auxquels l’Union européenne (UE) emboîte désormais le pas, imposent ces nouvelles règles que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) vise à rendre universelles. La libre circulation des capitaux, c’est la totale latitude laissée à leurs détenteurs de les placer ou de les investir dans les pays de leur choix, notamment dans des paradis fiscaux.

Tout se tient: la production se fera là où le travail est le moins cher, là où les normes environnementales et fiscales sont les plus laxistes et là où l’ordre règne. La parfaite mobilité des capitaux conduit à la mise en concurrence directe des travailleurs et des systèmes sociaux des pays du centre du capitalisme avec ceux de la périphérie, pour le plus grand profit du capital financier. Libre circulation des capitaux et libre-échange intégral sont les deux aspects indissociables du processus de marchandisation qui affecte progressivement toutes les activités humaines, hors de tout contrôle démocratique.

Le laminage des souverainetés populaires – s’exerçant dans un cadre national ou supra-national – n’est pas tombé du ciel: il est le produit de décisions - parfois volontaires, parfois contraintes - de gouvernements théoriquement souverains. L’UE représente un cas d’école de ce mélange de démission délibérée des gouvernements et d’application, non moins délibérée, par ceux-ci des dogmes du néolibéralisme. Ce sont bel et bien les gouvernements, lors des conseils des ministres et des Sommets européens, qui mettent en œuvre des orientations faisant de la «concurrence libre et non faussée» l’alpha et l’oméga de la construction européenne. Ce sont ces mêmes gouvernements qui justifient ensuite ces orientations auprès des peuples, au nom de «contraintes» européennes qu’ils ont eux-mêmes créées. Notons au passage que les traités européens, et notamment le TCE rejeté par les peuples français et néerlandais, donnent au libre-échange des biens et des services et à la liberté de circulation des capitaux le statut de «libertés fondamentales»…

L’objectif, aujourd’hui, est que les peuples puissent exercer leur souveraineté, c’est-à-dire décider réellement de la société dans laquelle ils veulent vivre, des politiques qu’ils veulent voir mener et des institutions qu’ils veulent voir construire.

Deuxième pilier: la nature comme réservoir inépuisable et comme dépotoir Pour les néolibéraux, qui ont poussé les ravages de l’économisme à un point jamais atteint, la nature est d’abord un stock dans lequel on peut puiser sans limites, et une gigantesque décharge publique dans laquelle on jette tout ce qui est devenu obsolète. Un réservoir et un dépotoir. Dans les deux cas, ce sont les pays les plus démunis qui paient le prix fort: d’un côté, accaparement des ressources naturelles et de la biodiversité par les multinationales du Nord; de l’autre, «accueil» des déchets polluants et dangereux.

Le risque d’irréversibilité de certains phénomènes, comme le réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre, a beau faire consensus au sein de la communauté scientifique mondiale, il est tenu pour nul et non avenu par le président Bush, porte-parole patenté des lobbies pétroliers,. Il est aussi consciemment ignoré par nombre d’autres gouvernements. Quant à l’épuisement inéluctable des ressources énergétiques et minérales, il est seulement appréhendé en termes de marché. N’est-il pas significatif que le seul élément qui ait quelque peu fissuré les certitudes néolibérales soit le récent rapport rédigé par Nicholas Stern, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, qui chiffre à 5 500 milliards d’euros le coût économique de la catastrophe écologique annoncée, à 200 millions le nombre de personnes déplacées qu’elle entraînera, et à 40 % du total la disparition des espèces vivantes?

S’articulant intimement avec le processus de marchandisation, et le poussant à l’extrême avec la privatisation du vivant, cette conception de la nature ne peut qu’être rejetée sans appel .C’est un modèle de développement radicalement nouveau, fondé sur la reconnaissance de biens publics mondiaux et de biens communs (l’eau en particulier) qui, de toute urgence, doit être promu pour l’ensemble de la planète, avec une juste répartition des contraintes entre le Nord et le Sud. En n’oubliant jamais que le Nord a une dette écologique considérable vis-à-vis du Sud.

Troisième pilier: la mise sous tutelle de la démocratie Les néolibéraux ont toujours prétendu que les libertés politiques étaient inséparables des «libertés» économiques. C’est d’ailleurs la logique mise en œuvre par l’UE dans l’élargissement aux pays de l’ex-«bloc socialiste» pour les contraindre à privatiser, ou plutôt brader les entreprises publiques aux intérêts étrangers et aux nomenklaturas et mafias locales. Les exemples, entre autres, du Chili de Pinochet et de la Chine actuelle montrent bien que libéralisation économique et autoritarisme, voire dictature, font parfaitement bon ménage.

Si les investisseurs ont un faible pour les régimes «forts», ils savent aussi s’accommoder de la démocratie représentative dont les limites favorisent l’émergence d’une aristocratie élective. Les milliers de lobbies ayant pignon sur rue à Washington, à Bruxelles et dans les autres grandes capitales, et disposant de budgets quasiment illimités, veillent au grain pour empêcher toute législation hostile aux intérêts des grandes entreprises. Il est, à cet égard, révélateur que les OGM, pourtant massivement rejetés par les opinions publiques européennes, soient néanmoins autorisés par la Commission européenne et les gouvernements.

Le système médiatique, acteur de la mondialisation libérale et vecteur de propagation de son idéologie, joue un rôle central dans le confinement de la pratique démocratique. C’est lui qui fixe les limites des choix politiques possibles, en gros entre le pareil et le même. Tout ce qui est extérieur à un «cercle de la raison», qu’il a lui-même défini, est diabolisé comme une intolérable manifestation d’ «archaïsme», de «corporatisme» et surtout de «populisme». Cette dernière appellation est de rigueur pour caractériser et tenter de déconsidérer les politiques de récupération des ressources naturelles et de redistribution des richesses au profit des catégories populaires, telles qu’elles sont mises en œuvre dans des pays comme la Bolivie et le Venezuela.

Faire sauter cette chape de plomb et libérer la démocratie de ses tutelles est la condition sine qua non de la construction d’un autre monde possible. Cela passe notamment par la mise en place de nouvelles formes de participation populaire complétant les formes classiques de représentation, par une formation à la citoyenneté dans le système éducatif et par des mesures garantissant le droit d’être informé et le droit d’informer.

Quatrième pilier: Des politiques publiques au service des propriétaires du capital A tous les niveaux - local, national, régional, comme au sein de l’UE ou au plan international-, les politiques néolibérales ont fait reculer systématiquement les régulations publiques au profit du «tout-marché». Les politiques publiques n’ont cependant pas disparu: elles se sont transformées pour développer l’«attractivité» des territoires, c’est-à-dire pour permettre la réalisation d’un taux de profit maximal par les entreprises. Elles privilégient désormais la stabilité de la monnaie, les taux d’intérêt réels élevés (compte tenu des faibles niveaux d’inflation), et les libertés de circulation des biens, des services et des capitaux, avec pour accompagnement inévitable, la déréglementation en matière sociale et environnementale...

La préoccupation de mettre un terme au chômage a fortement reculé ou complètement disparu. La protection sociale n’est plus perçue comme un objectif de civilisation, mais comme une contrainte pesante pour les entreprises, leurs actionnaires et les contribuables riches.

Ce volet des politiques a aussi une dimension internationale. Ainsi le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, créés à la fin de la Deuxième guerre mondiale pour faciliter les échanges, sont devenus, partout où ils interviennent, les gendarmes néolibéraux les plus efficaces pour démanteler les services publics et pour servir les intérêts des créanciers internationaux. La responsabilité du FMI, par exemple, a été écrasante dans les crises dévastatrices des années 1990, comme en Corée du Sud ou en Argentine. Il serait cependant malhonnête de dédouaner les Etats: le FMI est une organisation multilatérale, et s’il prend essentiellement ses consignes au département du Trésor des Etats-Unis, ses politiques ont également l’aval des autres gouvernements siégeant à son Conseil d’administration, dont ceux de la France et de ses principaux partenaires européens.

C’est la récupération de leur capacité d’intervention qui peut permettre aux citoyens de mettre en place les régulations qu’ils estiment nécessaires, et en particulier de créer de nouveaux services publics, tout en améliorant le fonctionnement de ceux qui existent, et en déprivatisant ceux qui ont été privatisés.

Cinquième pilier: dans l’entreprise, tout pour les actionnaires Dans les entreprises, le grand tournant des années 1980 a entraîné un recentrage des objectifs de gestion au service exclusif des actionnaires. Donc à un nouveau partage de la richesse produite entre salaires et profits, beaucoup plus défavorable aux travailleurs. Ce résultat a été atteint par le versement aux managers de rémunérations parfois astronomiques afin de faire coïncider leurs intérêts avec ceux des actionnaires, et de les dissocier de ceux des salariés.

Ces pratiques ont remis en question les modes antérieurs de gestion de l’après-guerre, fondées sur un jeu plus équilibré entre travailleurs, pouvoirs publics et propriétaires du capital. Les profits étaient alors largement conservés par les entreprises et investis dans l’appareil productif, créant ainsi des emplois. Ils sont désormais distribués aux classes aisées. Ce sort royal fait aux actionnaires ne profite guère aux investissements, puisque, dans leur quasi totalité, les transactions financières sont étrangères à leur financement. En donnant tous les pouvoirs aux actionnaires, au mépris des autres acteurs, en premier lieu les salariés et les territoires, qui n’ont pas leur mot à dire sur les décisions qui les concernent directement, tels les licenciements et les délocalisations, la pratique néolibérale a rendu encore plus criante l’absence de démocratie dans l’entreprise. Cette exception doit prendre fin.

Sixième pilier: la guerre permanente et les politiques sécuritaires L’«économie de prédation» des grandes puissances trouve son prolongement dans la «guerre permanente» pour le contrôle des ressources naturelles, notamment énergétiques, dont des pays peu développés sont dotés, et dont les pays riches ont besoin. Mais cet usage de la guerre est d’abord l’expression d’une volonté de domination beaucoup plus générale. Les Etats des pays les plus puissants, pour l’essentiel regroupés dans l’OTAN sous la houlette de Washington, et leurs appareils guerriers et policiers, sont le bras armé, non pas d’une «main invisible», mais des intérêts des sociétés transnationales et des classes qui les régissent.

Pour satisfaire leurs appétits illimités, les grandes puissances et leurs alliés régionaux (Israël en particulier), s’appuient sans vergogne sur des courants rétrogrades ou des régimes politiques réactionnaires. Elles ouvrent la voie à la montée des intégrismes religieux et au développement d’un terrorisme qu’elles ont antérieurement encouragé, tout en pratiquant elles-mêmes le terrorisme d’Etat, chaque fois qu’elles le jugent nécessaire.

Le néolibéralisme n’a évidemment pas inventé ces pratiques d’intervention aux quatre coins de la planète, qui mobilisent toutes les formes de la violence, la corruption, la subversion ou la guerre, mais il les a systématisées. Le rôle central des Etats-Unis dans cette situation de confrontation dramatique, et dans l’accélération du militarisme en général, est évidemment écrasant. Cette prééminence ne doit cependant pas occulter celle des autres grands pays développés, notamment de la France, et les stratégies des élites d’Etats fortement militarisés qui aspirent à partager les bénéfices de la mondialisation néolibérale. La montée des intégrismes et des fanatismes que provoque la mondialisation libérale est utilisée pour justifier le renforcement des politiques sécuritaires dans les pays riches. Par un extraordinaire tour de passe-passe, le néolibéralisme produit ainsi lui-même les dangers qu’il prétend combattre. par la militarisation. L’exemple de l’Irak est à cet égard aveuglant de clarté.

Septième pilier: la disneylandisation des esprits Les néolibéraux ont parfaitement compris que ce sont aussi les idées qui gouvernent le monde. Leur entreprise de restauration idéologique a commencé dès les années 1950, pour devenir hégémonique dans les années 1980. Elle se perpétue par un effort permanent de propagande pour faire intérioriser l’idée que, les choses étant ce qu’elles sont, la mondialisation est non seulement inévitable, mais souhaitable, et que l’on ne peut que s’y adapter en attendant qu’elle répande un jour ses bienfaits à tous. Et si elle tarde à le faire, c’est justement parce qu’elle est encore incomplète...

Ce discours intéressé de la résignation et du fatalisme est tenu par les grands médias, par la plupart des «élites» administratives, politiques, économiques, et même parfois syndicales. Il trouve ses fondements «scientifiques» dans la production de la majorité des économistes, certains «Prix Nobel» en tête. Et l’échec du «socialisme réel» ne facilite pas la réceptivité à des modèles volontaristes procédant de projets collectifs, aussitôt assimilés par les porte-parole et porte-plume du néolibéralisme à du «totalitarisme». C’est là le principal défi posé au mouvement altermondialiste, lui-même divisé sur le sujet.

Il reste que le bourrage de crâne néolibéral que nous subissons depuis plus d’un quart de siècle se heurte, partout dans le monde, à la réalité vécue par la grande majorité des citoyens. D’où la nécessité où il se rouve, par mesure de précaution, de le légitimer en lui donnant un accompagnement «culturel» ou, plus exactement, anti-culturel. Les néolibéraux, habités par le fantasme d’un marché planétaire aussi lisse qu’une boule de billard, sans aspérité d’aucune sorte, voient en effet dans les langues et les cultures, de même que dans les croyances religieuses, les convictions politiques et idéologiques, des éléments qui découpent, segmentent et font obstacle à la circulation sans frontières des marchandises et des services, en tout premier lieu des services audiovisuels. Leur idéal humain est celui d’un consommateur s’épanouissant dans un Disneyland partout identique, quel que soit l’endroit de la planète où il est implanté.

C’est pourquoi les Etats-Unis sont aussi virulents dans la promotion de leurs industries des images et du divertissement, qui a comme triple effet de contribuer en positif à leur balance commerciale, de propager une vision idéalisée de l’American Way of Life, et d’empêcher les créations culturelles véhiculant un imaginaire spécifique. Dans les traités commerciaux bilatéraux qu’ils signent avec leurs partenaires, ils imposent régulièrement l’interdiction des aides publiques à la création cinématographique, la suppression des quotas de diffusion d’oeuvres nationales et même la non ratification de la Convention sur la diversité culturelle, pourtant votée à la quasi unanimité à l’Unesco en 2005.

Cette politique a son volet linguistique: l’imposition de l’anglais, langue de la globalisation, comme vecteur unique de la communication internationale. Cette imposition a déjà fait l’objet, en France, de recours devant les tribunaux engagés par des syndicalistes, au nom du droit de travailler dans sa langue, contre des directions d’entreprises maniaques du «tout-anglais»,. Elle est cependant fortement préconisée par les «élites» citées plus haut, par une partie de la haute administration, notamment celle du ministère de l’éducation nationale et, avec un particulier acharnement, par la Commission européenne.

Le mirage d’un «monde enchanté» et aseptisé, à la Disneyland, suscite des réactions identitaires, pouvant dégénérer en nationalisme intégral ou en intégrisme religieux qui, d’ailleurs, s’accomodent parfaitement des politiques néolibérales. Face à l’universalisme marchand et aux replis et régressions qu’il entraîne, le mouvement altermondialiste se doit de proposer un nouvel internationalisme fondé sur la souveraineté populaire et l’accès aux droits pour tous les êtres humains,

Le refus de ce qu’il faut bien appeler un impérialisme culturel et linguistique est une des composantes essentielles du combat contre le néolibéralisme. Comme l’est, par voie de conséquence, la promotion de la diversité des cultures (dès lors qu’elles ne sont pas en contradiction avec les droits humains), ainsi que des langues, en particulier par la coopération entre les grandes zones géolinguistiques: arabophonie, francophonie, hispanophonie, lusophonie, etc.

Des bases juridiques pour résister Dans une perspective de résistance aux politiques néolibérales, de nouveaux instruments juridiques sont à inventer. Mais il en existe déjà un grand nombre, très partiellement concrétisés et qu’il faudrait réactiver. Il s’agit de la Charte internationale des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies (Déclaration universelle de 1948, pactes de 1966 et divers protocoles); des conventions internationales adoptées depuis lors (contre la discrimination raciale, contre la discrimination à l’égard des femmes, pour les droits de l’enfant); des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT); des textes du Conseil de l’Europe (Déclaration de 1949 et ses protocoles, notamment sur la bioéthique et l’environnement, Charte sociale européenne).

I- Construire un monde juste Les rapports de domination de toutes sortes et l’ordre inégalitaire et destructeur qui en résulte devront être déconstruits: domination du capital sur le travail, domination des pays riches sur les autres (du Nord sur le Sud, comme on dit souvent), domination et mépris de la nature soumise à la logique de rentabilité du capital. Dominations auxquelles s’ajoute celle des hommes sur les femmes, qui, certes, a précédé le néolibéralisme et même le capitalisme, mais sur laquelle s’appuie à son tour le déploiement de la mondialisation néolibérale. Le mouvement féministe, qui met en avant l’égalité entre les sexes, le refus des discriminations et des mécanismes de domination, est une pièce essentielle de la construction d’un monde écologique et solidaire.

Afin de conjuguer solidarité et écologie, il n’est plus possible de considérer la question sociale exclusivement en termes de répartition des revenus, même si davantage d’égalité est absolument nécessaire. Car les inégalités ne sont pas seulement monétaires: aux inégalités de revenus et de patrimoine, se superposent les inégalités environnementales et les inégalités d’accès aux biens communs, comme l’eau, l’énergie, la santé, le vivant, la connaissance… Aucune mesure uniquement «redistributive» ne pourra compenser les dommages, irréversibles au plan social et écologique, de la destruction systématique des diversités culturelles, ainsi que la diversité biologique. C’est le contenu même de la richesse et des productions qui doit être redéfini afin de concilier d’une part l’équilibre écologique – qui serait détruit par une croissance économique infinie – et, d’autre part, un vaste ensemble de droits, comme le droit à l’emploi, à la protection sociale et à l’éducation, à la santé et à un environnement sain. Pour cela, il faut promouvoir un nouveau sens au travail et à la consommation, associé à une plus juste répartition des produits.

1) La crise écologique La crise écologique se manifeste de multiples manières: épuisement des ressources non renouvelables, dérèglement climatique, accumulation de déchets toxiques, menaces de pandémies, nappes phréatiques polluées, réduction de la diversité biologique... Ses racines plongent au cœur même de notre organisation économique et sociale. Les catastrophes écologiques résultent des choix productivistes et de la priorité quasi exclusive donnée aux profits dans l’orientation des activités économiques. Elles menacent la possibilité, dans l’avenir, d’une vie humaine sur la planète et, dès aujourd’hui, la santé des populations vivant dans un environnement pathogène. Alors que les catastrophes et les accidents en série s’accélèrent, engendrant un sentiment d’insécurité qui va jusqu’à la peur pour la survie, il y a urgence. La conscience d’un monde «fini», épuisable, doit commander les choix collectifs en matière d’alternatives. Il s’agit véritablement d’un enjeu de civilisation.

Il n’y a pas de remède miracle. L’épuisement des énergies non renouvelables ne saurait, par exemple, être compensé en transformant les terres cultivables et la production vivrière des pays du Sud en chantiers de production de biocarburants, sous la forme de plantations en monoculture à une très grande échelle. Le désastre écologique ne s’exporte pas. Il est inacceptable que les pays les plus avancés, pour s’acquitter de leurs obligations en matière de droits à polluer dans le cadre du protocole de Kyoto, financent, par des partenariats public-privé, des «puits de carbone» dans les pays du Sud, transformant ainsi ces pays en réceptacles de carbone émis ailleurs, après y avoir déjà accumulé nombre d’autres déchets.

Les politiques néolibérales ont eu pour effet d’accélérer la dégradation de l’écosystème – explosion des transports polluants de marchandises, déforestation massive –, l’appropriation du savoir par des droits de propriété intellectuelle et de brevetage du vivant et la capture par quelques firmes transnationales des biens communs mondiaux – comme l’eau ou les semences – rendus inaccessibles aux plus pauvres.

2) La crise de l’emploi, de la protection sociale et des services publics Les exigences de la rentabilité, souvent à court terme ou immédiate, renforcées par la financiarisation du capitalisme, percutent de plein fouet les sociétés. Le «marché» du travail est désormais celui de l’emploi précaire et flexible; l’emploi n’est pas une fin mais une variable qui doit s’ajuster aux exigences de profit; il est dévalorisé qualitativement et quantitativement.

L’emploi des femmes, tout particulièrement, est traité comme un réservoir de main d’œuvre à bon marché; les femmes sont utilisées ou renvoyées chez elles au gré des besoins des entreprises, avec, notamment, le travail à temps partiel comme forme d’emploi reposant sur l’inégal partage des charges familiales entre les sexes. Les femmes paysannes, pour une grande part responsables de l’agriculture vivrière dans les pays du Sud, se voient expulsées par les avancées d’une agriculture productiviste, tournée vers l’exportation, et dévastatrice pour les sols et l’environnement.

Le chômage conduit les travailleurs à accepter des emplois de plus en plus précarisés, correspondant souvent à des activités qui menacent leur santé. Les délocalisations vers les pays à main d’œuvre à bon marché et socialement peu protégée, concourent au nivellement par le bas des systèmes sociaux.

3) Solidarité internationale L’immensité des besoins élémentaires qui restent à couvrir du côté des plus démunis et le gaspillage frénétique des ressources du côté des plus aisés, exige la mise en œuvre urgente de nouvelles formes de coopération économique et politique internationale. Cette coopération doit être fondée sur la reconnaissance du droit des peuples à décider de leur destin, sur le principe de l’égalité des droits d’accès aux ressources et aux biens communs, et sur la reconnaissance de la diversité de leur manière de produire.

Pour «scier les piliers du néolibéralisme», il faut reconstruire un nouvel ordre mondial sur la base de principes complètement rénovés, à l’opposé des deux grands principes qui régissent l’OMC. Le premier porte un nom étrange hérité du passé: le principe de «la nation la plus favorisée». Cela signifie que si un pays accorde un avantage à un autre, par exemple en réduisant les droits de douanes à l’importation de certains des produits de ce partenaire commercial, il doit octroyer les mêmes avantages à tous les autres pays de l’OMC, puisque les pays sont censés être à égalité dans la concurrence. Le second principe est le «traitement national». Il implique que les étrangers investissant dans un pays y seront traités comme des investisseurs nationaux. Encore une fois, pas de choix possible pour les Etats en matière de protection des investissements et de choix industriels.

Le nouvel ordre mondial qu’il convient de construire devrait s’établir, à l’inverse, sur des principes de solidarité et de coopération sélective, en fonction des situations et besoins des uns et des autres. Pour cela, l’OMC devrait dépendre de l’ONU et respecter les droits sociaux, écologiques, politiques fixés dans la Charte de celle-ci. Dans ce cadre-là, des accords entre certains pays, non généralisables, visant à une véritable coopération, à la satisfaction des besoins, à la réparation des dégâts sociaux et écologiques des politiques antérieures, à une distribution des richesses plus juste, seraient possibles.

De tels accords de coopération supposent comme préalable l’annulation de la dette publique du Sud, avec comme seule condition la réorientations des fonds vers des projets assurant les droits élémentaires des peuples: droit à la souveraineté alimentaire, droit à la santé, à l’éducation, préservation des biens communs et droit à un environnement sain. Ces accords devraient engager les deux parties durablement: par exemple, pour les pays riches, l’engagement à acheter certains produits pour une durée déterminée et à certains prix. Ces accords conduiraient les signataires à s’engager à ne pas exporter certains produits, comme ceux d’une agriculture subventionnée en Europe, ou à entreprendre certaines réformes, par exemple une réforme agraire visant à retenir sur leurs territoires des populations n’ayant d’autre choix que l’émigration.

Ces pratiques apparaissent bien préférables à une aide, qui restera toutefois en partie nécessaire, ou à des sanctions pour prétendue «mauvaise conduite». De la même manière, les pays désireux d’attirer des investissements étrangers seraient libres de choisir des partenaires en fonction des pratiques des intéressés, aux plans économique, écologique et humain, à condition de respecter la charte du commerce fixée par les Nations Unies.

Seul l’exercice de telles souverainetés solidaires serait susceptible de renverser la logique dévastatrice de la mondialisation néolibérale. Renoncer au libre-échange tous azimuts ne signifie pas basculer dans un protectionnisme frileux, mais organiser les échanges selon des logiques solidaires et sélectives. A l’inverse d’un principe «libre-échangiste» général, le nouvel ordre économique mondial pourrait imposer de réelles contraintes aux pays les plus développés, notamment par l’ouverture de leurs frontières aux exportations des pays du Sud.

Les capacités de production des pays les plus pauvres, pour qu’ils puissent satisfaire leurs besoins de base, ne sont pas conditionnées par le sacrifice des travailleurs des pays les plus riches, qui devraient renoncer à leur protection sociale et à leurs services publics. Accepter cette argumentation reviendrait à donner la tête la première dans la propagande néolibérale qui fait de l’ouverture commerciale internationale à tout crin et de la libre mobilité des capitaux la seule voie vers le développement économique.

Les firmes transnationales sont au centre de la nouvelle division internationale du travail, et leurs abus devraient être sanctionnés, mais les États qui les abritent sont responsables du choix politique des trajectoires libérales de développement. Celles-ci conduisent à des hyperspécialisations monstrueuses et à des déséquilibres sociaux et écologiques redoutables, tels la destruction de l’agriculture paysanne, l’exode vers les grandes métropoles ou les migrations vers les pays du Nord, l’exploitation d’une main d’œuvre non protégée et toujours renouvelable. Barrer cette logique, comme le suggère ce manifeste, favoriserait de la part de ces Etats le choix d’autres modèles de développement au lieu de condamner une fraction importante de leurs populations à la pauvreté perpétuelle. De nouvelles politiques commerciales avec ces pays et l’investissement international doivent être négociés, sur la base du principe de solidarité ici mis en avant.

La solidarité internationale ne saurait s’accommoder des tensions et guerres entretenues par les grandes puissances pour le contrôle économique, politique et culturel du monde. Certes, les Etats-Unis sont les premiers coupables. Mais la France est aussi un pays de tout premier rang mondial par le niveau des dépenses militaires, la production de systèmes d’armes et leur exportation. Sa politique, qui associe depuis des décennies la présence militaire, le monde des affaires, et les réseaux politico-affairistes, porte une lourde responsabilité dans les désastres qui touchent l’Afrique. Les groupes pétroliers, mais aussi ceux des services (télécommunications, l’hôtellerie, banques, distribution de l’eau, etc..), ont bénéficié des programmes de privatisation des services publics engagés par des gouvernements soumis aux intérêts français, et ont réalisé des investissements très rentables. Le pillage des pays dominés continue et la dépendance à l’égard du pétrole conduit également à une course sans fin vers plus de militarisme. Le président de la République française a d’ailleurs déclaré que l’arme nucléaire pourrait être utilisée pour se protéger contre «une agression, une menace ou un chantage insupportables contre nos approvisionnements stratégiques».

De ces constatations découlent les principes et mesures suivants: PRINCIPES et MESURES PRINCIPES A- Rompre avec le processus de la mondialisation néolibérale au profit d’une monde solidaire:

A1- La récupération par chaque pays de sa souveraineté en est une condition préalable: mener ses politiques, ouvrir ou non ses frontières commerciales comme il l’entend, ce qui suppose de rompre avec le libre –échange généralisé, qu’il prenne la forme de traités multilatéraux ou bilatéraux.

A2- Définir un nouveau type d’accords, au plan international, fondés sur des principes de solidarité, visant à préserver des droits fondamentaux comme la souveraineté alimentaire, l’emploi, l’égalité d’accès aux biens communs, et la possibilité pour les pays actuellement dominés de choisir les voies propres à la satisfaction prioritaire des besoins de leurs populations.

A3- Face aux risques globaux, comme le changement climatique, renégocier des accords internationaux, fondés sur la reconnaissance de la dette écologique des pays du Nord, dont la croissance économique a conduit à la dégradation de l’écosystème planétaire et sur la reconnaissance du pillage des ressources naturelles de ces pays dominés.

A4- Interdire l’appropriation privée des biens publics mondiaux, éducation, santé, eau et énergie, vivant, et la «marchandisation» tous azimuts.

B- Reconstruire les relations internationales sur la base de la solidarité entre les pays les plus développés et les autres, du Nord et du Sud; dépasser l’ordre mondial impérialiste des grandes puissances actuelles (ou de celles qui pourraient surgir dans l’avenir). A travers la signature d’accords solidaires, lier la reconfiguration des échanges mondiaux:

B1- à la mise en œuvre de réformes, notamment agraires ou des politiques de protection d’activités locales artisanales, visant à permettre aux populations les plus défavorisées de ne pas s’expatrier, de vivre dans leur propre pays dans des conditions décentes, et de préserver les écosystèmes et les savoirs traditionnels.

B2- à la relocalisation des activités, tant dans les pays les plus développés que dans le reste du monde, afin de soutenir l’emploi et les équilibres sociaux (villes-campagnes, entre catégories socioprofessionnelles…), diminuer significativement les transports de marchandises, et stabiliser les populations.

B3- à la reconnaissance des droits des populations autochtones face au mouvement de privatisation de la terre et du patrimoine biologique.

B4- à la mise en œuvre dans tous les pays du Nord et du Sud du droit au travail pour tous et toutes, du droit à la santé et à l’éducation, du droit d’accès aux ressources, du droit à la souveraineté et à la sécurité alimentaire et à un environnement sain.

Ces dispositions extrêmement urgentes correspondent au double objectif de limiter les flux migratoires dès lors qu’ils sont l’expression du désespoir de populations sans recours, et de protéger l’emploi et les conditions de vie d’autres populations menacées par la concurrence de travailleurs prêts à vendre leur travail à quelque prix que ce soit.

MESURES 1) Démantèlement ou réforme radicale de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Dénonciation des traités de «libre-échange».

2) Remplacement du principe de libéralisation générale des échanges commerciaux par une ouverture extérieure sélective et négociée destinée à favoriser les productions locales et à protéger les secteurs prioritaires (par exemple, les biens culturels).

3) Recherche au plan bilatéral ou multilatéral d’accords commerciaux internationaux et relatifs aux investissements et à la protection de la propriété intellectuelle, selon les principes définis antérieurement de solidarité avec les pays les moins avancés, de préservation ou de création de l’emploi local, de satisfaction des besoins sociaux et de protection de l’environnement.

4) Réforme radicale du FMI et de la Banque Mondiale visant à établir une représentation équilibrée des divers pays et à en changer les objectifs. Rattachement du FMI et de la Banque Mondiale à l’ONU elle-même réformée

5) Pouvoir de sanction conféré à l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

6) Reconnaissance d‘un droit à la protection des pays du Sud et soutien à leurs mouvements sociaux pour promouvoir des objectifs sociaux et environnementaux.

7) Instauration d’un contrôle des changes (donc un contrôle de la circulation des capitaux), combiné à l’instauration de taxes sur les mouvements de capitaux, et l’éradication des mouvements vers les paradis fiscaux.

8) Annulation de la dette publique des pays de la périphérie, un des leviers les plus puissants dans la main des intérêts financiers visant à imposer leur discipline aux pays dominés.

9) Mise en place de taxes sur les transactions de change (taxe Tobin), sur les marchés des actions, obligations et produits dérivés; taxe unitaire sur les profits; création d’écotaxes. L’ensemble des ressources nouvelles ainsi collectées devrait être affecté à la solidarité internationale: santé, éducation, accès à l’eau et au logement.

10) Élaboration d’un statut mondial pour les biens communs désormais déclarés inaliénables: eau, climat, énergie, ressources non renouvelables, vivant, semences, connaissance; encouragement des «partenariats public-public» internationaux pour la gestion de ces biens communs.

11) Interdiction du brevetage du vivant et abrogation de la directive européenne qui autorise les brevets sur le vivant.

12) Santé. Prise en compte des risques environnementaux dans les politiques de santé publique. Obligation de recherche des risques et extension de la directive européenne REACH à l’ensemble des produits. Création d’une législation internationale sur la toxicité des produits.

PRINCIPES C- Réduire de manière radicale l’emprise des propriétaires du capital, c’est-à-dire des actionnaires (individuels ou institutionnels) sur l’entreprise. Casser la chaîne d’or qui réunit les hauts gestionnaires aux actionnaires et les conduit à gérer les entreprises dans le seul intérêt de ces derniers. Aller vers un emploi de qualité et un revenu pour tous.

D- Soumettre les entreprises à des politiques publiques nationales et internationales destinées à subordonner leurs choix économiques et technologiques aux objectifs sociaux et environnementaux.

E- Harmoniser, progressivement et par le haut, les systèmes sociaux, fiscaux, environnementaux par des normes publiques internationales, au lieu des «codes de bonne conduite» définis par les firmes transnationales.

MESURES 13) Fixation d’écarts maximaux pour les revenus des gestionnaires des entreprises, ce revenu maximal faisant pendant au salaire minimal revalorisé; interdiction de l’indexation de ces salaires sur les cours boursiers. Suppression des stock-options.

14) Surtaxation des bénéfices distribués aux actionnaires, compensée par une diminution de l’imposition des bénéfices réinvestis localement; interdiction des licenciements boursiers par des entreprises en bonne santé.

Politiques nationales, sans préjuger d’une extension internationale qui doit toujours être recherchée:

15) Politiques de stabilisation de l’activité économique (le fait d’éviter les emballements et récessions). Ces politiques doivent tendre à assurer l’existence d’une activité économique stable et garantir la stabilité de l’emploi au cours du temps.

16) Emploi. Partage du travail entre tous et toutes par la réduction du temps de travail, par le soutien aux initiatives de relocalisation des activités, par la création d’emplois pour la reconversion des activités (énergies renouvelables par exemple), par la création d’emplois dans le secteur non marchand pour répondre aux besoins sociaux.

17) Revenus.

Répartition équitable des revenus: limitation des écarts de salaires dans les entreprises et égalité hommes-femmes pour un travail équivalent, revalorisation et reconnaissance des qualifications des métiers (dits) féminins par la révision des conventions collectives.

Sur la question du revenu garanti, deux options sont possibles et restent en débat: 1) dans le cadre d’une politique visant au plein emploi, revenu garanti en cas de perte d’emploi et, de manière générale, pour tout demandeur d’emploi; 2) revenu garanti sans condition pour assurer l’autonomie de chacun, le plein emploi n’étant pas un objectif en tant que tel.

18) Droits sociaux attachés à la personne et non à la situation professionnelle.

19) Fiscalité. Rétablir une forte progressivité de l’impôt direct pour réduire les écarts de revenus, avec une tranche supérieure à 100

20) Prix. Mise en place d’une politique de vérité des prix visant à comptabiliser les coûts sociaux et environnementaux réels, et construction d’indicateurs pour mesurer ces coûts externes à la logique des marchés.

21) Politique du logement. Réaffirmation du droit au logement et imposition de normes écologiques sévères tant pour l’habitat neuf que pour l’ancien.

22) Services publics. Reconstruction des services publics sur la base d’une véritable gestion démocratique et de la transparence des choix devant assurer solidarité, justice et équilibre écologique; création de nouveaux services publics: logement, eau, énergie, accueil de la petite enfance, aide à la dépendance, recherche.

23) Enseignement. Garantir, par un financement public porté à au moins 7 % du PIB, la gratuité totale des études, de la maternelle à l’enseignement supérieur. Interdire le financement des écoles privées par les communes. Ramener à 15 par classe le nombre d’élèves des écoles et collèges des quartiers défavorisés. Mettre fin à la fermeture et à la privatisation des écoles maternelles. Mettre fin aux tentatives de marchandisation de l’Ecole par les entreprises sous la forme des «partenariats» public/privé, et abroger le «code de bonne conduite» qui les régit. Refuser la propagation de l’idéologie de l’ «esprit d’entreprise» dans le système éducatif.

24) Recherche. Mesures en faveur de la recherche proposées par Sauvons La Recherche.

PRINCIPES F- Rendre compatibles les aspirations immédiates des générations présentes avec leurs propres intérêts à plus long terme et ceux des générations à venir, et réaffirmer immédiatement le rôle des États et leurs responsabilités en matière écologique.

G- Réorienter radicalement la production et la consommation dans le souci combiné de l’emploi et des contraintes écologiques: penser la liberté, la solidarité, la justice à l’intérieur des limites écologiques à la production illimitée.

MESURES Ouverture de négociations visant à la définition de nouveaux accords:

25) Création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement dans le cadre des Nations Unies.

26) Négociation de processus de réparation concernant la dette écologique des pays les plus développés et le pillage des ressources des pays dominés.

27) Application du protocole de Carthagène, qui permet d’interdire l’importation de semences et d’animaux transgéniques et de maintenir les Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) en milieu strictement confiné pour des applications de recherche fondamentale; application de la Convention sur la Diversité Biologique (1992); application de la Convention de Bâle (1993) sur les mouvements transfrontaliers et l’élimination des déchets.

28) Taxes sur les transports et, pour la production, fiscalité différenciée en fonction de ses caractéristiques et des économies réalisées (énergie, emballages, qualité et durée de vie des produits).

29) Économie solidaire et commerce équitable. Aides publiques aux initiatives d’économie solidaire et à des initiatives décentralisées, favorisant la relocalisation des activités économiques et articulées avec le renforcement des services publics de proximité; promotion du commerce équitable aussi bien dans le domaine de l’agriculture que pour l’ensemble des biens de consommation.

30) Agriculture. Encouragement d’une agriculture diversifiée et adaptée au territoire national; promotion des circuits courts entre producteurs et consommateurs; interdiction des cultures d’OGM en plein champ; réorientation de la recherche agronomique dans le sens d’une agriculture réellement durable, en particulier l’agriculture biologique. Reconnaissance du droit des populations déshéritées à la terre face à la grande propriété terrienne, notamment l’accès aux terres non cultivées, et promotions des politiques de réforme agraire.

31) Énergie. Mise en œuvre d’un programme de développement des énergies renouvelables avec pour objectif la diminution de la consommation énergétique et la création de nouveaux emplois; promotion d’économies drastiques dans le transport et dans l’habitat pour atteindre l’objectif de diviser par 4 d’ici 2050 la consommation d’énergie fossile dans les pays développés; financement d’un programme de réduction du transport par camion.

PRINCIPES H- Reconnaître et mettre en œuvre l’égalité en matière de droits fondamentaux entre hommes et femmes.

MESURES 32) Généralisation pour les femmes des droits propres (non fondés sur la situation d’épouse). Reconnaissance de leur droit à la terre et au crédit dans les pays où elles en sont exclues.

33) Recherche d’accords internationaux visant à l’élimination de la mondialisation de la prostitution et contre la traite des êtres humains en général.

PRINCIPES I- Définir un ordre international qui décourage la guerre et la militarisation et agir contre la banalisation de la guerre comme outil de domination; le droit international doit, en acquérant un caractère contraignant, permettre l’application effective des textes de l’ONU qui définissent les droits des êtres humains (Déclaration universelle des droits de l’homme, Charte des droits économiques et sociaux…).

MESURES 34) Au plan militaire international: Mise en place d’un programme international sous l’égide de l’ONU de réduction drastique des productions d’armes de toutes sortes, des budgets militaires, et lutte contre le trafic d’armes; interdiction de l’usage de technologies sécuritaires, utilisées dans les guerres et contre les populations civiles; interdiction de l’usage des technologies de destruction massive: nucléaire, bactériologique et chimique. 35) Sortie de la France de l’OTAN et refus des logiques militaristes et sécuritaires de la Politique européenne de sécurité et de défense; résiliation des accords militaires de la France avec les pays africains.

II- Faire de l’Europe un pôle alternatif Les institutions européennes Il n’existe pratiquement aucun domaine où la rupture avec les politiques néolibérales ne se heurte à la «contrainte» européenne. On peut même affirmer, surtout depuis l’Acte unique de 1986, que la construction communautaire a été largement conçue pour enfermer chaque Etat membre dans les logiques exclusives du marché, de la concurrence et du libre-échange, et cela indépendamment de toute alternance au pouvoir dans les capitales de l’UE. Que ce soit dans sa partie I, qui intégrait les principes du néolibéralisme, que dans sa partie III qui les déroulait en politiques concrètes, le TCE avait essentiellement pour but de verrouiller une telle construction en leur donnant un caractère «constitutionnel».

C’est en montrant qu’il n’y avait pas de «bonnes» politiques européennes et de «mauvaises» politiques françaises, les deux s’emboîtant comme des poupées russes, qu’Attac a pu largement contribuer à la victoire du 29 mai 2005. Un nombre croissant de citoyens sont maintenant conscients que la question européenne – déclinaison continentale de la «question libérale» - surplombe toutes les autres. A quelques exceptions près, toute rupture antilibérale en France impliquera une rupture avec les actes législatifs et traités de l’UE.

Le cadre de ces traités et des institutions qu’ils prévoient est extrêmement contraignant, mais cela ne signifie pas qu’un gouvernement soit impuissant à ce niveau. En s’appuyant sur des mobilisations populaires dans son pays et dans les autres, il peut utiliser les institutions existantes comme autant de tribunes et les procédures comme autant de moyens d’action.

Pour commencer, il peut, s’il en a la volonté et le courage politiques, bloquer de très nombreuses décisions néfastes. A la limite, même toutes. Il lui suffit de réactiver le «compromis de Luxembourg» du 29 janvier 1966, accepté par les six membres de la CEE de l’époque, et qui mit fin à la politique dite de «la chaise vide» menée par le général de Gaulle pour faire respecter les engagements de financement de la politique agricole commune (PAC). Ce «compromis», qui n’a jamais été déclaré caduc, prévoit que si un Etat considère que ses «intérêts vitaux» sont en cause, il peut exiger qu’une décision relevant normalement de la règle de la majorité qualifiée (c’est le cas, notamment, pour la PAC et pour toutes les directives de libéralisation du marché intérieur) soit, de fait, prise à l’unanimité. Ce qui revient à exercer un droit de veto.

L’utilisation de l’UE comme machine à libéraliser met moins en cause les «intérêts vitaux» des Etats que ceux de l’ensemble de leurs citoyens. Un gouvernement déterminé à rompre avec le néolibéralisme est donc parfaitement fondé à faire usage des procédures communautaires pour faire échec à toute nouvelle mesure de libéralisation. Avant de conquérir de nouveaux espaces démocratiques, il faut au moins ne plus céder de terrain.

Simultanément, il appartient aux citoyens de tous les pays d’Europe de remettre sur le chantier les institutions de l’UE pour y injecter une très forte dose de démocratie. Au sein d’Attac, le débat n’est pas tranché quant à la meilleure méthode pour y parvenir. Certains préconisent le lancement d’un processus constituant répondant à deux objectifs: dépasser la logique intergouvernementale qui n’a abouti qu’à exclure les peuples de la construction européenne sans les protéger de la logique du marché; aider à construire un espace public européen qui permette de transcender les égoïsmes nationaux. D’autres, considérant que la souveraineté populaire et les capacités de résistance politique et sociale s’exercent encore, pour l’essentiel, au niveau national – et la France en est un exemple-, sont favorables à des traités intergouvernementaux thématiques: traité institutionnel, traité social, traité environnemental, etc. Quelle que soit la méthode, il faut libérer les institutions et les politiques du carcan néolibéral.

1.- Libéralisation, élargissement, libre-échange A l’initiative de la Commission, l’UE sait faire essentiellement trois choses:

d’abord, en son sein, de la libéralisation et de la mise en concurrence, sans harmonisation fiscale ou sociale entre les systèmes nationaux.

ensuite, à ses frontières, de l’élargissement à de nouveaux États membres, mais sans accepter l’effort financier de solidarité nécessaire, et en imposant aux candidats de véritables programmes d’ajustement structurel qui laminent tous les dispositifs de protection sociale. De ces politiques découlent, grâce aux différentiels supplémentaires de salaires, de droits sociaux et de législations contraignantes, un champ encore plus libre pour le dumping social et fiscal. L’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’UE le 1er janvier 2007 va encore aggraver cette situation.

enfin, avec les pays tiers du Sud, notamment ceux du pourtour méditerranéen, des traités de libre-échange par nature inégaux. Quant à l’exception que constituaient les accords commerciaux préférentiels conclus avec les pays les anciennes colonies européennes d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), la Commission, sous la houlette de la Banque mondiale et de l’OMC, est en train de les vider de leur contenu en les alignant sur ceux signés avec les autres pays tiers.

Dans les trois cas, ce sont les secteurs les plus pauvres et les plus précaires des sociétés – en particulier les femmes, les migrants et les chômeurs – qui payent le plus lourd tribut à la généralisation des politiques néolibérales. De proche en proche, la logique ultime de cette démarche est l’utopie d’un marché mondial sans la moindre entrave où l’UE, le Japon et les États-Unis seraient en concurrence «libre et non faussée», non seulement entre eux, mais aussi, prétendument sur un pied d’égalité, avec, par exemple, le Niger et le Laos. En s’interdisant la moindre «préférence», l’UE s’interdit du même coup de mener une politique commerciale autre que celle de l’ouverture des marchés extérieurs à ses entreprises, pour le seul et unique bénéfice de leurs actionnaires et de leurs dirigeants.

2.- Une politique étrangère impuissante L’UE est incapable de «parler d’une seule voix» sauf sur de plus petits dénominateurs communs. Son élargissement de 15 à 25, et bientôt à 27, a considérablement renforcé le pouvoir des Etats-Unis en son sein par le biais, notamment, de l’élargissement de l’OTAN. On l’a vu, entre autres, lors de l’invasion américano-britannique de l’Irak en 2003, puis lors de la destruction d’une bonne partie du Liban par Israël en 2006. Toute initiative de politique étrangère qui n’aurait pas l’assentiment préalable de Washington est immédiatement bloquée par une coalition majoritaire des gouvernements les plus atlantistes.

De ce fait, la parole de l’UE n’est guère audible, et encore moins entendue dans les grands dossiers internationaux autres que commerciaux. On aboutit à ce paradoxe que la voix d’un ou deux grands États membres (par exemple l’Allemagne, l’Espagne et la France) pèse souvent davantage que celle de l’UE tout entière auprès des gouvernements de nombreux pays tiers. Et, compte tenu de ses divisions internes, l’UE, en tant que telle, est même dans l’impossibilité de capitaliser politiquement son aide au développement, son aide humanitaire, voire ses accords de libre-échange.

Cette situation déçoit profondément les forces progressistes du reste du monde qui, confrontées à l’hégémonisme des États-Unis – exercé directement ou par le biais des organisations multilatérales que ce pays contrôle –, voudraient que l’Europe se constitue en un pôle susceptible d’impulser des politiques alternatives au niveau mondial. Et l’UE, pour peu qu’elle en ait la volonté, en aurait certainement les moyens, aussi bien dans une logique de puissance «molle» – un marché de 500 millions de consommateurs, des rapports historiques avec de très nombreux pays, des capacités de négociation, de formation, de transferts de technologies, d’aide publique au développement, de prévention des conflits, etc. –, que de puissance «dure» avec un potentiel militaire certes très inférieur à celui des États-Unis, mais cependant non négligeable pour, par exemple, mener des opérations de maintien de la paix.

PRINCIPES Donner l’exemple de la viabilité d’un autre ordre social fondé sur les solidarités nationales et internationales, et respectueux de l’environnement.

1 Démocratiser les institutions européennes Mesures 35) Fin du monopole d’initiative législative de la Commission européenne. Partage de ce pouvoir avec le Parlement européen, le Conseil, les gouv