Décès de Marguerite Légaut
Paul Mandonnaud
17 juin 2008 QQN N° 214
Je suis très touché par le décès de Marguerite. Je l’ai connue, j'avais 21 ans et, chaque jour, durant presque deux ans, 1963-64, je fus son septième enfant, comme pour remplacer son aîné en études de mathématiques à la suite de son père, soit l'été aux Granges de Lesches dans la maison familiale, à 1000 m au-dessus de Luc en Diois, à près d'une demi-heure de lacets de montagne, et durant l'hiver à Valcroissant près de l'ancienne abbaye, à deux pas de Die. J'aidais aux travaux quotidiens avec Bruno, son fils handicapé, en réfléchissant à ma future vocation. Le dimanche et pendant les vacances, avec Rémi, Olivier, Jacqueline et Michelle, nous partagions des activités de loisir, marche sur corde raide danses folkloriques, ballades…comme nous y poussaient Marguerite et Marcel Légaut.
Marguerite, en mère attentive et laborieuse, était levée tôt, faisant le ménage en des lieux très pauvres et simples, parquet juste lavé et non verni, pas de papier aux murs peints en blanc, préparant les repas, se mettant à la lessive ou au jardin car nous cultivions tout le nécessaire pour la soupe, carottes, poireaux, pommes de terre… Elle était présente aussi aux récoltes de fruits, pommes et poires, qui faisaient nos desserts. En général, les repas étaient composés de soupe de légumes, fromage de chèvres et fruits cuits. De la viande ou du pâté, il n'y en avait que le dimanche et quand une bête était vieille et abattue.
Elle était présente aux travaux de la ferme en famille. Car aux Granges, nous avions près de deux cents moutons et nous cultivions sur place tout le nécessaire : foin, luzerne, blé, y compris moisson et battage, épandage du fumier des moutons dans les champs, récolte de foin… Elle était là, courageuse, à toutes ces corvées.
Les soins d'hygiène étaient rustiques, lavabo à eau froide en semaine et, le samedi soir, on chauffait un bidon avec du bois. Plus bas, il y avait une douche précaire, dehors, en contrebas de la maison dans un abri de fortune. Par contre, il y avait un tourne-disques et de bons disques d'opéra (Don Juan), du Bach (les messes), du théâtre… et quand le temps était bouché et les bêtes nourries, nous nous faisions des après-midi de musique. Il y avait aussi une riche bibliothèque disponible et, le soir, on lisait au lit, «La vie simple»… Légaut et aussi sa femme aimaient bien avoir des livres, relus souvent pour en apprécier la profondeur. Mais pas de radio, de télé, d'informatique… Il n'y avait que Bruno qui avait un transistor qui nous permettait d'être en relation avec le monde, à midi pour les infos. Marcel recevait un journal boursier pour des placements familiaux qui lui permettaient de financer les études des plus grands.
Pendant les week-end, Marcel donnait des cours à chacun en particulier. Mais c'est surtout Marguerite qui suivait les études de chacun. Durant l'année scolaire, en hiver, elle était à Valcroissant mais montait aux Granges le vendredi soir pour les week-ends, avec les enfants. Donc en semaine, elle vivait à Valcroissant dans la ferme louée à 10 km de Die mais à Die, elle avait une seule pièce (une cuisine) dans un garage où elle attendait ses enfants qui faisaient leurs études, préparant les repas de midi et du soir, tricotant… Je la voyais comme la fourmi laborieuse et active, s'occupant de ses mains à des tricots, ou en train de lire des livres scientifiques ou des romans, mais pas de livres religieux, un peu en opposition avec Marcel pour le taquiner. L'essentiel de son temps se passait à aider les enfants à faire leurs devoirs scolaires et dans des activités annexes de loisir (danse ou autres).
Avec humour, elle taquinait son mari car elle refusait de le lire ou d'assister à ses topos… Pratiquante assidue, elle se voyait plus dans la foi du charbonner que théologienne. Elle vivait dans une pauvreté quotidienne et une simplicité évangélique. Habillée simplement, elle qui avait connu le monde ne se plaignait de rien. Je riais toujours quand elle arrivait, avec ses enfants, dans sa «deux-chevaux» Citroën où, vu sa petite taille, on ne voyait dépasser du volant que son chignon et ses lunettes. Elle n'avait pas peur les dimanches où, pour assister à la messe de Luc-en-Diois, durant près d'une heure de descente et de remontée, on s'entassait dans la jeep à sept, assis sur les ailes et un peu partout, dans ces chemins de montagne tout en lacets, conduit par Marcel, le nez au vent !!!
Elle était heureuse de nous voir jouer et danser, et sans rien dire, elle préparait le repas pour tous, y compris les invités de dernière heure en recherche de dialogue avec Marcel.
J'étais touché quand je voyais son unité avec Marcel et Marcel participer aux charges du ménage, mettre le couvert ou laver la vaisselle avec sa femme. Ils avaient choisi de vivre le quotidien à la manière de Joseph et Marie à Nazareth, chambre à part, vie chaste et fraternelle. Ils avaient connu une vie conjugale pour concevoir leurs six enfants. Compte tenu que je fus mêlé à leur vie à l'âge où les enfants étaient des ados, il n'y avait pas de prière en famille, mais la messe pour tous et une vie de prière en chambre pour le couple… vie très profonde et aimante, j'en fus témoin par accident. Marcel ouvrait les enfants, chacun à son niveau, à la spiritualité et à la philosophie (Platon et Socrate en particulier pour Jacqueline et très tôt), Marguerite pour la littérature et les sciences. À table, la conversation était ouverte et riche de sujets.
Marguerite a eu six enfants assez rapidement et a tout fait pour que se développent les vocations de chacun, danse pour Michelle, mécanique pour Rémi (au lieu de la messe le dimanche quand il avait 16 ans), équilibre sur corde raide, jonglerie et autres… Les week-ends, elle nous poussait à apprendre les danses de tous les pays du monde, Israël, Yougoslavie… et à en faire la démonstration dans les fêtes villageoises. Elle était d'accord avec Marcel pour tous les investissements qui permettaient de développer la créativité, comme fabriquer des hamacs en corde et dormir dehors en été pour les essayer…
De plus, elle laissait son mari vivre sa vie de prière, de retraite, de conférence et de travail intellectuel, sans jalousie ou plainte, restant pour garder l'unité familiale avec ses enfants, un peu en retrait à l'époque où les groupes Légaut étaient présents aux Granges, refusant d'assister à leurs débats. Pour elle, le retour à la ferme était son but, la vie de pauvreté était totale et elle trouvait ces «professeurs» un peu des amateurs dans leur retour à une «vie plus simple». Elle fut pour moi une mère, un modèle pour élever mes enfants. Merci Marguerite ! Je prie pour toi et avec toi ton Seigneur que tu suivais à
Nazareth, Jésus. Merci Marcel !
paul mandonnaud